RUE DES ARRIERES BOUTIQUES
Rue Élisée Reclus coté boucherie chevaline
De dix à treize ans que de belles années, pures, franches, libres, pas encore polluées par des phantasmes sexuels, des besoins d’argent, des rêves d’adultes.….
Maman et ma sœur travaillent, mon frère est loin.
Tout l’été, de sept heures du matin à dix huit heures le soir, aucune entrave, une totale liberté.
Et la rue.
Ma rue, la rue Élisée Reclus.
Où plutôt la portion de rue, celle qui est coincée entre la rue du citoyen Bézy et la rue Floréal Mathieu.
Avec à un bout, coté impair, une boucherie chevaline dont la façade est d’un rouge criard à faire peur et où trône, au centre du fronton, une énorme tête de cheval dorée, parfaite dans le moindre détail, ce qui laisse supposer, quand le rideau est tiré, que le reste de l’animal est à l’intérieur du magasin.
Et il y est bien, mais dépecé en énormes quartiers qui pendent à des crochets argentés.
A l’autre bout, angle rue Citoyen Bézy, un magasin de pièces détachées et accessoires automobiles.
Après la boucherie un atelier de rectification, pour nous gamins c’est un grand mystère que cette rectification, de grosses machines vertes et huileuses taillent dans des pièces métalliques des tortillons d’acier qui finissent à la poubelle et font le bonheur de notre esprit créatif.
Puis l’échoppe d’un horloger, cet ancien mécanicien de la marine a posé là son sac par le plus grand des hasards et s’est reconverti dans le réglage des aiguilles, des ressorts et des engrenages des montres duquartier.
La loupe qu’il arbore, toujours rivée sur son oeil droit, lui donne un air d’extra terrestre qui nous fascine et nous inquiète quelque peu.
Quelques pas plus loin, tous les samedis, l’église adventiste attire une foule de gens qui viennent chanter à tue tête pour que Jésus revienne. Leurs chants inondent toute la rue, mais leur ferveur, aussi forte soit-elle, ne semble pas avoir d’échos et Jésus se fait toujours attendre.
Enfin l’atelier de réparation des pompes diesel. Les agriculteurs de toute la région connaissent bien l’adresse du père Fuentes, qui redonne vie à des engins bien mal en point. Ce Jésus de la pompe n’est pas notre ami, il aime trop le diesel pour aimer les enfants.
Couronnant le tout, trois immeubles, le 9, le 11 et le 11bis. C’est là que réside la bande : Robert, Marcel, Georges, René, Bernard, Jean-Pi et les autres.
Qui dit trois immeubles, dit trois concierges, gardiennes et responsables de la bonne tenue de leur secteur notre cohabitation n’est pas des meilleures,…doux euphémisme.
Coté pair, un alignement triste et monotone de portes identiques, mais qui cachent bien leur jeu, car elles abritent les arrières boutiques, de prestigieux magasins dont les vitrines majestueuses s’épanouissent sous les arcades de la rue d’Arzew.
De ce coté, seul le perron d’une de ces entrées à toutes nos faveurs,c’est la seule porte qui ne donne pas sur une boutique, mais abrite la cuisine d’un couple d’un age certain, qui sont pour nous enfants, les grands-parents que tout gamin rêve de connaître : « les Rivier » quel bonheur, quelle tendresse et quelle complicité, nos vrais alliés de cœur dans les bons comme dans les mauvais jours.
Et à l’autre angle de la rue Citoyen Bézy, face au dépôt de pieces-détachées, la station de taxis.
Coté magasin de pièces détachées auto Muñoz