Ce matin Bernard qui est le premier levé nous a dessiné un merveilleux parcours du tour de France.
Six étapes, dont une de tunnel avec un saut de trottoir pas facile à réaliser et des lacets qu’il va falloir négocier avec prudence.
Pour jouer au tour de France, ce n’est guère compliqué, il faut d’abord et avant tout un parcours tracé à la craie ou au plâtre. Deux traits parallèles dessinant les formes que l’inspiration du moment nous dicte.Parfois un seul trait, ce qui signifie que nous passons un tunnel. Ensuite il faut bien entendu des coureurs cyclistes et de préférence de très grands champions, Bobet, Robic, Kubler, Koblet, Copi, Bartali.
Les coureurs sont des platicos, (capsules de limonade) qui pour avoir une stabilité parfaite sont lestées avec de la cire de bougie ou du goudron. Une fois le lestage terminé il faut soigneusement coller la photo de son héros.
Le but du jeu étant de rejoindre l’étape le plus rapidement possible sans sortir des contours du parcours, en poussant le platico d’un bref coup de majeur. En cas de sortie de route retour à l’étape précédente.
A chaque arrivée d’étape, il est attribué à chaque joueur, un certain nombre de points suivant le classement atteint et en fonction du nombre de participants.
Le gagnant étant celui qui totalise le plus de points à l’arrivée de la dernière étape.
Les platicos et les pignols (aquarelle Georges Devaux)
La partie peut durer des heures et il faut bien surveiller celui qui tient la marque surtout si c’est ce tromposo de Robert.
Le départ se situe devant l’entrée du 11, sur le rebord du trottoir, juste à coté de l’atelier du révérend père Fuentes, le spécialiste des pompes diesel et des bidons d’huile attachés au cul des quatre chevaux. Il arbore ses grosses lunettes de protection, il a donc l’intention de travailler et donc de nous fiche la paix.
Pour viser le plus juste,il faut se mettre à genoux voir carrément s’allonger par terre, les coudes et les genoux deviennent rapidement couleur chocolat, mais la partie est trop prenante, pour faire des effets de toilette.
Bernard me dit soudain :
- Tu vois ce que je vois ?
- Ouai, une camionnette.
- Et alors ?
-Alors je vois une vieille Juvaquatre Renault transformée en camionnette, avec deux ridelles et un hayon le tout verrouillé par des clavettes.
- T’y es bête ou tu fais semblant ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Bon puisque tu veux que je te mette les points sur les i, elle est à qui cette juvaquatre ?
- Au père Fuentes et alors ?
- Et alors ça ne te donne pas des envies cette tartana ?
- Tu veux qu’on lui accroche des bidons d’huile ?
- Ah ! non, pas que ça, il faut une vengeance bien en règle.
- Et c’est nous qu’on va encore ramasser. Purée regarde ce bandit de Georges ça fait trois fois qu’il fout des rempoujon à mon joueur et que je me retrouve dehors.
- Ne change pas de conversation s’il te plait, il faut qu’il se rappelle ce cabron que quand on fait des conneries on laisse pas accuser les autres.
- Tu proposes quoi ?
- Je propose que l’on piége sa bagnole bien comme il faut, et que se soit le vendeur de tracteurs qui soit accusé.
- On le connaît même pas çui la, on la vu une fois par ici et tu veux….
- Regarde au bout de la station, tu la voies sa quatre chevaux ?
- Bon d’accord, mais ça ne va pas être simple.
- Si c’était simple il y a longtemps que l’histoire serait réglée.
- Bon c’est ton tour de jouer.
- Robert on en est où ?
- C’est Georges qui gagne, Marcel est deuxième, moi troisième, Bernard derrière et toi tu es à la pora, bon dernier.
- Viens voir Robert, tu sais pourquoi elle est souvent là, la bagnole du marchand de tracteurs ?
- Ah que oui ! C’est ma sœur qui me l’a dit, José il est complètement tchalé d’une vendeuse de chez « Primavera », tous les jours que Dieu donne il est collé à la vitrine, puis, il entre, achète une rose rouge, il la paye et l’offre à la vendeuse qui prend à chaque fois le sofoco de sa vie, vu qu’elle devient plus rouge que la rose.
- Et quand c’est qu’il travaille.
- D’où je sais moi ?
- On finit cette partie et on va chez moi j’ai mis une bouteille de coco au frais dans la glacière.
La partie s’emballe, le pouce lâche le majeur qui heurte le platico et celui-ci avance sur le parcours.
Je double Bernard, mais je heurte le Bartali de Robert, ce qui me fait rebondir hors des limites du jeu. Décidément la scoumoune ne me lâche pas.
Georges franchit la ligne d’arrivée avec son Louison Bobet, Marcel en fait de même, Robert passe la ligne en lançant un énorme cri de joie comme si c’était lui qui avait gagné la partie. Je termine bon dernier, je suis vraiment un tchancléro a ce jeu il ne me reste plusqu’à payer à boire à toute la bande.
La glacière est un meuble peint en blanc qui trône dans la cuisine, il est doublé de liège pour garder la fraîcheur, le froid est produit par un pain de glace qui, bien sur, fond et que je remplace tous les matins.
C’est ma corvée journalière, le vendeur de glace, débite avec dextérité de grands pains de glace à l’aide d’un énorme couperet muni de dents monstrueuses.
Il glisse dans mon sac de jute le morceau quotidien, nous échangeons quelques brèves paroles de civilité et il passe au client suivant. Maman le règle en fin de semaine.
La boisson du jour c’est une bouteille de « coco » que j’ai préparé la veille en faisant dissoudre la poudre de réglisse dans un litre d’eau.
Le liquide coule dans les verres et provoque une fine condensations, gage de fraîcheur.
- Hum mm que c’est bon et frais !
- C’est pas tout ça mais qu’est-ce qu’on fait !
- José s’est vengé sur nous, mais quand il a su la vérité pas un mot d’excuse, rien.
- Quant au père Fuentes il a laissé faire !
- Donc tous les deux dans le même sac.
Il faut piéger et bien piéger la juvaquatre du père Fuentes, et il faut que le joli cœur de José soit là pour qu’ils s’embrouillent tous les deux.