Les copains sont partis, maman me fait avaler, une soupe, une vraie, qui a cuit à petit feu toute la matinée, une tranche de jambon, une petite vache qui rit et une banane.
Je n’ai plus mal au ventre, mais mes jambes ont encore du mal à me porter.
Une rapide toilette et me voilà prêt à affronter « la curandera. »
La place Zoche comme l’appellent les gens du quartier, est en pente, elle dégouline vers la rue d’Arzew, comme si elle voulait faire le boulevard avec le reste des oranais.
Le buste du général culmine au-dessus d’un drôle de monument de pierre, les cheveux blanchis, non sous le harnais, mais par les crottes de pigeons irrévérencieux.
Il lance un regard courroucé vers les caves Sénéclauze, comme si la musique produite par le maillet des tonneliers ne seyait pas à ses organes auditifs.
Les branches des ficus, qui peuplent la place, abritent des hordes de moineaux qui piaillent au rythme des marteaux.
Maman m’a expliqué qu’avec l’arrivé des bateaux pinardiers de nombreux tonneliers se sont retrouvés au chômage, mais que le bon vin sera toujours transporté dans des fûts en chêne.
Nous arrivons devant un porche voûté, des odeurs de cuisine diverses et variées atteignent nos narines, ce qui révulse un peu mon estomac encore fragile.
Après la traversée du couloir nous débouchons sur une grande cour rectangulaire entourée de balcons qui la ceinture sur trois étages. C’est un « patio », habitation typiquement oranaise, où les appartements donnent tous sur une cour intérieure, tout le monde se connaît, s’entraide, s’engueule, s’embrasse…….
Sur son seuil, bras croisés, toute vêtue de noir la courandera, semble nous attendre.
Elle est toute petite, noiraude, ses yeux incandescents pétillent.
Ses cheveux poivre et sel sont tirés en chignon, derrière un visage labouré de rides.
Elle nous fait signe d’approcher.
- « Par ici, par ici, el señor Perrello m’a fait part de vos problèmes. »
Tenu par un clou, une cage abrite une « carganera » qui donne de la voix et égaye tout le patio.
La cour est inondée de soleil, passé un rideau, censé protéger de la chaleur, nous pénétrons dans une pièce ou nos yeux mettent plusieurs minutes à s’accoutumer. Petit à petit les objets prennent forme, un évier, un fourneau à pétrole, une table ovale recouverte d’une toile cirée bariolée.
Quatre chaises en bois entourent la table, la tia Pépa en tire deux qui laissent apparaître des sièges canés. Elle nous invite à prendre place.
Du fin fond d’un buffet elle extirpe une poêle et un bol. Elle gratouille dans le grand tiroir du buffet et en extrait une paire de ciseaux tout rouillés.
Trois, quatre coups de pompe sur son réchaud à pétrole, elle craque une allumette et une belle flamme bleue éclaire la pièce. Le doux ronflement du réchaud excite l’oiseau dans sa cage, ses les gazouillis redoublent de puissance.
Elle rempli le bol d’eau et le vide dans la poêle, elle met le bol à l’envers dans la poêle et met-le tout au feu.
Elle ouvre la vieille paire de ciseaux en forme de croix et la pose délicatement sur le cul du bol.
Une main sur ma tête, l’autre contre son cœur elle entonne des litanies en latin et en espagnol.
L’eau commence à frémir, la chaleur de sa main sur ma tête est intense, l’eau bout, elle semble avalée par le bol, en quelques seconde la poêle est vide.
La main de la curandera est devenue fraîche, elle coupe l’arrivée du pétrole. Le réchaud est éteint, le silence s’installe dans la pièce, le canari ne chante plus.
Elle retire sa main de mon front, j’ai les jambes encore un peu cotonneuses et des étoiles troublent ma vue.
- Eh bien hijo mio, t’avais la tête pleine de soleil, il faut mettre un gorro quand tu vas à la plage.
Je hoche la tête en signe d’acquiescement, maman remercie chaleureusement et demande ce qu’elle doit, la réplique est cinglante :
- Je ne fais pas ça pour l’argent, mais pour remercier le seigneur de m’avoir donné ce don et adoucir les douleurs de mon prochain.
Maman se confond en excuses et embrasse la curandera qui me fait la bise, le petit blaireau qui orne le grain de beauté de son menton me chatouille et me fait frissonner.
Je suis très impressionné par tout ce qui vient d’arriver, aussi le soleil qui inonde la place Hoche me fait le plus grand bien.
Mes jambes ne tremblent plus, j’ai une envie folle de courir de retrouver mes amis et d’oublier cette drôle d’aventure, qui aussi incroyable que cela paraisse m’a remis sur pieds.